Je terminerai en juin ma cinquième année d’enseignement. [Yé! Je ne fais pas partie des statistiques d’abandon!] J’ai passé 2 ans comme enseignant de français et 3 en tant qu’enseignant d’initiation aux nouvelles technologies (en plus de PPO cette année). Comme autres tâches, on peut ajouter graphiste maison pour les publicités de l’école, webmestre pour le site de l’école, organisateur de voyage-échange et de niveau et encore plus! Vous allez dire « OUOI? Un cours d’initiation aux nouvelles technologies en 2014?! » Oui! Le programme international dans lequel j’enseigne a décidé d’offrir il y a plusieurs années un cours d’initiation aux technologies à tous les élèves de première secondaire afin de leur donner des connaissances et des compétences de base qui leur seront utiles tout au long de leurs études. D’abord à trois périodes par cycle, le cours est maintenant offert à deux périodes depuis 3 ans. Que fait-on dans ce cours? On apprend ensemble à utiliser les technologies par le biais d’activités et de projets pluridisciplinaires ou de projets technologiques (cycle de conception en technologie). Par exemple, l’année dernière, les élèves devaient programmer Scratch pour résoudre un labyrinthe afin de voir si un hamster est plus rapide que l’ordinateur ou vice-versa. Ces projets avec les autres matières sont essentiels, car les technologies sont des outils que les élèves utilisent dans toutes les matières; les travailler en vase clos ne servirait à rien.

On apprend également à utiliser les technologies pour collaborer et communiquer par divers moyens de présentation (dépliant, présentation multimédia, revue, film, etc.). On aborde aussi le droit d’auteur et les images libres de droits, l’identité numérique, les réseaux sociaux et le vol d’identité en plus des règles méthodologiques dont il faut tenir compte lors de la remise d’un travail (page de présentation, mise en forme, bibliographie, etc.). En théorie, l’utilisation des technologies est quelque chose de transversal. En réalité, quand quelque chose est l’affaire de tous, cela devient souvent l’affaire de personne. Dans mon cours, j’essaie que ce soit l’affaire de tout le monde, ou du moins, du plus grand nombre de gens en essayant constamment de répondre aux besoins de mes collègues. Professionnellement, cela est très stimulant, car j’ai la liberté d’aborder les sujets que je désire, mais j’essaie toujours que ce soit utile aux autres. Chaque début d’année, pendant la présentation du cours aux parents, un d’entre eux demande toujours la blague si les parents peuvent assister à mon cours. Cela dit, voici quelques observations en lien avec les jeunes, les technologies et le travail d’enseignant.

Les jeunes sont nés avec les technologies, ils sont nécessairement bons.

FAUX. Il y a 5 ans, je croyais ça. On entend toujours cette phrase un peu partout où on la voit sur Internet. C’est peut-être vrai pour programmer l’enregistreur numérique de grand-maman, mais quand on parle d’utiliser les technologies dans un contexte scolaire et pour apprendre, il en est tout autrement. J’ai rempli des dizaines de livres à colorer quand j’étais plus jeune, pourtant, je n’étais pas meilleur dans mes cours d’arts plastiques… Je savais comment tenir un crayon, mais je ne savais pas comment bien dessiner. Il a fallu me le montrer. J’observe la même chose avec les élèves et les technologies en général. Oui, une bonne partie de nos élèves passent plusieurs heures par semaine assis devant l’ordinateur ou à jouer sur le iPod touch, mais cela ne les rend pas meilleurs à utiliser les technologies pour apprendre, il faut leur montrer. Une fois que l’on a implanté chez ces derniers l’idée que leur iPod peut être utilisé pour autre chose que pour jouer (le iPod étant presque plus présent que les rapporteurs d’angles toujours perdus), ils ne cessent de voir les possibilités offertes par ces outils. Ce n’est pas toujours pertinent ni pratique, mais au moins, ils essaient.

Il y a presque plus de iPod par élève que d’effaces

Presque VRAI. Le taux de pénétration du iPod chez nos élèves est fascinant. En début d’année, je fais toujours remplir par les élèves un court sondage quant à leur utilisation des technologies. Dans les questions, je leur demande s’ils ont un lecteur MP3. 86 % des élèves en ont un. Ensuite, je leur demande si leur lecteur MP3 est un iPod touch. 3 élèves sur 4 en ont un. Cette statistique augmente en cours d’année, car plusieurs en demandent un pour leur fête ou Noël. Pour les iPad, un élève sur 4 en possède un. Une telle présence permet de réaliser des activités avec ces appareils (en équipe bien entendu) sans que l’école soit mise à contribution. Cependant, cela a certains inconvénients. Apple étant championne dans les versions de produits, il arrive qu’une application ne soit pas disponible avec telle version de iPod ou tel iOS. Cet automne, Apple a rendu gratuite l’application iMovie, mais uniquement pour une gamme d’appareils achetés à partir de septembre et fonctionnant sous iOS 7. L’enseignant qui crée un projet où les élèves peuvent utiliser leur propre iPod doit prévoir des solutions de rechange. Fait intéressant : beaucoup d’élèves ont tellement peur de manquer de batterie que la luminosité de leur appareil est tellement basse qu’ils doivent se coller le nez sur leur appareil pour voir quelque chose.

Certains élèves sont extrêmement compétents, d’autres le sont beaucoup moins

VRAI. En français (langue d’enseignement), malgré le fait que certains élèves sont très faibles (on ne s’aventurera pas sur ce terrain ici), on s’attend à ce que les élèves qui arrivent en secondaire un aient les mêmes acquis, car il y a un programme universel en français. C’est totalement le contraire lorsqu’il est question d’utilisation des technologies. On est devant un groupe plus qu’hétérogène. Cela fait en sorte que chaque début d’année est chaotique, surtout lorsque vient le temps d’enregistrer quelque chose sur sa clé USB par exemple. Je conviens que l’utilisation d’un compte Google Drive serait plus facile en septembre, mais certains parents s’opposent à cela et la majorité des élèves n’ont pas l’âge légal de se créer un tel compte quand ils arrivent en secondaire 1. Pour certains, c’est la première fois qu’ils utilisent une clé USB. Pour d’autres, ils le font déjà depuis plusieurs années. Ce chaos survient chaque fois que quelque chose de nouveau est demandé aux élèves. On a tendance à croire que tous les élèves sont capables d’enregistrer ou d’imprimer un document dans Word, mais c’est faux. C’est la même chose pour envoyer une pièce jointe par courriel. Bien entendu, la marche à suivre est toujours montrée à l’aide de l’ordinateur et du projecteur, mais pour que ce soit intégré, ils devront le faire à plusieurs reprises avec de l’aide avant de pouvoir le faire seul. Cela a cependant quelque chose de positif : les plus forts aident ceux qui ont de la difficulté. Habituellement, quelques semaines suffisent pour avoir un rythme de travail intéressant et faire en sorte que les élèves utilisent leur système D.

Les élèves ne lisent plus leurs courriels… ou ont de la difficulté à le faire

VRAI. J’ai observé chez mes élèves de secondaire I, III et IV qu’ils ne lisent pas leurs courriels, ou ont de la difficulté à le faire. Consulter les courriels n’est pas un automatisme comme plusieurs adultes le font. Nous, les adultes, avons vu apparaitre le courriel comme premier moyen de communication efficace par Internet. De plus, très souvent, on doit y accéder pour le travail, car on l’utilise pour envoyer des informations importantes. Pour nos jeunes, ce n’est pas le cas. Le courriel semble un des moyens qu’ils peuvent utiliser parmi tant d’autres pour communiquer. Ils utilisent Facebook, Twitter, Instagram et les SMS, mais pas le courriel. Très souvent, les boites de réception des élèves contiennent des milliers de courriels, car pour eux, le courriel c’est quelque chose qu’il faut impérativement posséder si on veut s’inscrire à un service quelconque. Par conséquent, la boite est souvent remplie de courriels de Facebook. Chaque demande d’ami, message privé ou notification — et on sait que les jeunes en reçoivent des dizaines ou centaines par jour — fait l’objet d’un courriel qui aboutit dans leur boite de réception. Cela leur cause un problème lorsqu’ils cherchent un courriel important. Même si ce courriel a été envoyé dans la journée, il se trouve souvent enterré sous les nouveaux de Facebook. Il m’est déjà arrivé d’envoyer un courriel à une mère pour qu’elle dise à son enfant (en cinquième secondaire, précisons-le) d’aller consulter les siens, car je lui avais envoyé un document pour réaliser son projet personnel.

Parler de technologie en lien avec l’actualité intéresse énormément les élèves, mais surtout les garçons

VRAI. Avant de commencer un cours, j’aborde très souvent un sujet d’actualité en lien avec les technologies. Cela est un excellent moyen de faire des liens avec les aires d’interaction du PEI. Au début de l’année, les jeunes ont de la difficulté à réagir, car ils ne savent pas quoi dire. Plus l’année avance, plus ils sont capables de formuler des commentaires sur les avantages et les inconvénients des éléments présentés. Il y a quelques semaines, nous avons abordé l’achat de la compagnie Nest par Google. Certains ont dit que cela était une bonne nouvelle, car l’Internet des objets simplifie certains gestes de la vie alors que d’autres ont dit qu’il y avait peut-être un risque de piratage étant donné qu’ils sont branchés à Internet. D’autres fois, on regarde sur Trendsmap ce qui se passe sur Twitter. D’ailleurs, lors de la mort de Nelson Mandela, quelques élèves m’ont dit être allés sur Trendsmap à la maison pour voir la répercussion de cet événement sur Twitter. Lors des rencontres de parents, le commentaire que j’entends le plus souvent est « Mon garçon me parle toujours de votre cours ». Et chaque fois, le parent me raconte que leur enfant, très souvent un garçon, leur a rapporté le contenu de ces petites capsules d’actualité au début du cours. Le fait que les élèves en parlent à la maison indique qu’ils ont été interpellés ou intéressés par le cours. N’est-ce pas une des nombreuses missions d’un enseignant : intéresser les élèves. Plusieurs garçons viennent aussi me parler au début du cours de tout ou de rien (nouvelle application, nouveau jeu vidéo, iPod planté en raison d’un jailbreak, etc.). On parle souvent de motivation et de réussite des garçons; il y a assurément matière à réflexion en ce qui concerne les garçons et les technologies. Fait à part, cet automne, j’ai ouvert les commentaires sur mon blogue destiné aux élèves. Malgré leur jeune âge, les commentaires qu’ils écrivent peuvent être très pertinents.

L’intégration de certains outils ou technologies doit être basée sur un choix réfléchi, car quelques parents ont besoin de réponses… et vite!

VRAI. En 2010, Apple m’avait prêté un ensemble d’appareils (MacBook, iPod touch, caméras, etc.). J’en avais profité pour créer une situation d’enseignement, d’apprentissage et d’évaluation complète dans laquelle les élèves devaient utiliser Twitter. J’avais préparé une lettre expliquant aux parents le projet et demandant s’ils étaient d’accord pour que leur enfant utiliser Twitter en classe. Quelques parents m’avaient fortement questionné par courriel et par téléphone avec un point de vue de départ assez fermé. C’était presque à la limite du « Je doute de vos compétences à enseigner. », parce que Twitter n’a aucunement rapport dans une classe. Cependant, comme le projet avait été réfléchi, que la grille d’évaluation était déjà prête et que j’avais l’appui de la direction, j’ai été capable de répondre à toutes les interrogations des parents. Il m’arrive la même chose chaque année lorsque je présente Google Drive et d’autres outils de collaboration. Il y a toujours quelques parents qui veulent en savoir plus et c’est normal, surtout avec des élèves de secondaire 1. Quand on leur explique les raisons pour lesquelles on aimerait que les jeunes utilisent le service, ils comprennent toujours. Très souvent, l’argument « Vous n’aurez plus besoin d’acheter une nouvelle clé USB chaque mois, car votre enfant perd toujours la sienne! » suffit à lui seul. Pour les plus réticents, je leur propose toujours de créer le compte eux-mêmes et de conserver le mot de passe pour avoir un certain droit de regard. Cela rassure les parents. Quelques-uns m’ont dit avoir visité le compte de leur enfant une à deux fois au début pour s’assurer que l’usage qui en est fait est correct.

L’université ne forme pas assez les étudiants pour leurs premières années d’enseignement

Presque VRAI. Certains n’aimeront pas lire ces quelques lignes… Pour avoir discuté avec plusieurs nouveaux enseignants, je crois que cette phrase peut être appliquée à n’importe quelle université et non seulement celle où j’ai fait mes études. Au départ, mon point de vue était que l’université forme mal les futurs enseignants à ce qui les attend. Par contre, à bien y penser, je me suis rendu compte que nous étions bien formés, mais pas suffisamment pour les premières années d’enseignement; celles qui sont si cruciales dans notre issue professionnelle. Vous me direz qu’il y a des choses qui ne s’apprennent pas sur les bancs des universités; j’en conviens. Un enseignant peut être excellent à créer des situations d’apprentissage constructivistes, mais s’il est incapable de gérer une classe et d’intervenir face aux mille et une situations pouvant survenir dans la journée d’un enseignant, il n’est pas plus avancé.

Tous ceux à qui j’ai parlé s’entendent pour dire que les cours les plus enrichissants dans leur formation étaient ceux donnés par des chargés de cours ayant encore un pied comme enseignant, orthopédagogue ou directeur dans une école secondaire. Ceux-là arrivaient avec des exemples concerts en nous racontant comment ils avaient géré une situation quelconque survenue durant leur journée. Tout ça, en faisant des liens avec les théories. C’est exactement ce côté concret et pratico-pratique qu’il manque dans la formation initiale qui dure quatre ans soit dit en passant. Maintenant que mes cinq ans s’achèvent et que je ne suis plus en mode « survie » (planification, enseignement, planification, correction, planification, dodo), car les premières années sont très exigeantes, j’ai le temps d’aller voir ce que disent ces grandes théories afin de les mettre en pratique. Cela est impossible quand on est constamment en mode survie. Peut-être que si la formation initiale était plus collée sur la réalité des enseignants pour les premières années, ce passage obligé serait moins difficile.

J’ajouterai quelques points prochainement. J’ai profité de la relâche pour publier ce billet commencé depuis décembre…

6 thoughts on “Jeunes, technologies et enseignement : impressions après 5 ans d’enseignement

  1. Je suis convaincu que la transition entre l’enseignement du français et de l’informatique n’est pas chose facile! Bravo pour le partage de cette expérience.

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